La première fois que j'ai vraiment entendu parler de féminisme, j'avais 21 ans. Étrangement, aujourd'hui, ça me semble être tard... Mais mon parcours de vie est ainsi fait et il m'a fallu un sacré cheminement pour comprendre ce qu'était le féminisme, ou plutôt les féminismes - mais je dirai "le" car je parle de "mon" féminisme et mon rapport à celui-ci.
Mon féminisme est né et s'est construit en 1ère année de master en Arts du Spectacle au cours de Cinéma et études de genre. Avant ça, je n'ai pas de souvenir d'une quelconque confrontation avec des féminismes ni des féministes. Ce fut une révélation. Je me permets une petite liste non-exhaustive de ce qui m'a marqué :
- Laura Mulvey et le male gaze - texte de 1975 à lire ici
- Les films de Busby Berkeley qui illustrent bien le propos de Mulvey avec des femmes réduites au rôle d'objets soumis au regard des hommes, avec des mises en scène absolument dingues et précises pour composer des mouvements kaléïdoscopiques
- Jane Campion et La leçon de piano
- L'excellente Maya Deren
- News from Home de Chantal Akerman et ses vues de New York
Pour l'examen, nous devions choisir un film à analyser selon une perspective féministe. C'est drôle, en y repensant, je me revois en difficulté face à cette consigne : Que choisir comme film qui serait féministe ? Je n'avais pas une idée claire de ce qu'était un film féministe ni réellement pourquoi. J'ai finalement choisi un film dans la liste proposée par la professeure : Volver de Pedro Almódovar. Mon titre pour cette analyse - que je vous avoue relire et redécouvrir en écrivant cet article : "Volver : une société féminine débarrassée de l'homme". C'est drôle parce qu'après coup, je me dis que c'est étonnant d'avoir choisi un réalisateur masculin pour y présenter la visée féministe. Ceci dit, il n'est évidement pas le seul à le faire, mais voilà, c'est juste une réflexion que je me permets, à moi-même.* Bref. Je ne vais pas épiloguer sur ce film ni sur l'analyse que j'en avais faite mais je vais retenir cette idée : une société féminine sans hommes. Cette perspective renvoie à plusieurs réflexions et je me permets d'en mettre une en avant que j'avais exploitée pour mon analyse, celle d'Adrienne Rich et de son texte sur La contrainte de l'hétérosexualité et l'existence lesbienne (à lire ici ) dans lequel elle parle du continuum lesbien. Ce continuum lesbien comprend un large registre d'expériences impliquant une identification aux femmes dans ses multiples rapports intenses et privilégiés entre femmes, qui inclut la capacité de partager sa vie intérieure ou de faire front contre la tyrannie masculine. Pour Adrienne Rich, les relations féminines permettent de se rendre la vie plus supportable. Les femmes donnent l'affection physique sans causer de peine, elles partagent et donnent des conseils. Les femmes partagent entre elles et se réconfortent mutuellement.
Le concept de « continuum lesbien » permet de relier ces femmes aux « lesbiennes » plus connues de l'école des femmes réunie autour de Sappho au 7e siècle avant J.C. ; aux sororités secrètes et aux réseaux économiques dont on signale l'existence parmi les femmes africaines, aux « sœurages » chinois de résistance au mariage - communautés de femmes qui refusaient le mariage, ou qui si elles étaient mariées refusaient souvent de consommer leur mariage et quittaient rapidement leur mari, les seules femmes en Chine qui n'avaient pas les pieds bandés et qui, nous dit Agnès Smedley, accueillaient avec joie la naissance des filles, et organisaient des grèves de femmes réussies dans les filatures de soie.
Volver, Adrienne Rich et tant d'autres... Ma première année de rencontre avec le féminisme et des découvertes fortes de sens qui ont trouvées un réel échos en moi. Depuis, j'ai fait du chemin, j'ai découvert et je découvre tous les jours des pensées, des réflexions, des femmes, qui m'inspirent et qui nourrissent mon féminisme. Dernièrement, ce fut Gloria Steinem dont la vie est racontée dans le film que j'ai regardé avec ma Véro : The Glorias. Quel combat, quelle indépendance, quelle sororité. Je me suis sentie portée intérieurement par le rassemblement de femmes unies par les mêmes combats qui sont présentes lors de la reconstitution du National Women's Conference (Conférence Nationale des femmes) tenu en 1977 à Houston. Un tel rassemblement me fascine. Ce lien entre les femmes, quelle énergie, c'est fort. Comme je l'évoquais à propos avec Adrienne Rich juste avant.
Cette sororité m'éblouit, l'idée d'avoir le même combat et d'être unies. Mais mon féminisme à moi ne rencontre pas des groupements... parce que je n'aime pas la foule et que j'aime ma solitude. Mais nous savoir (même dans ma tête) unie dans un même combat (même si je suis bien évidemment consciente qu'il n'y en a pas qu'un) me porte. Cela étant... Mon féminisme se pratique dans une forme de solitude. Et j'aime ma solitude. Ma solitude à deux. Et c'est dans celle-ci que je découvre des merveilles... Comme hier, lorsque ma Véro me fait découvrir les poèmes de Sappho, mis en musique par Angélique Ionatos. Quel bijou...
* Ceci n'est bien sûr pas sans penser à l'essai de Pauline Harmange, Moi les hommes, je les déteste, et à son propos très juste : les privilégié‧es ne doivent et ne peuvent pas s'approprier les luttes des opprimé‧es mais doivent les comprendre et sensibiliser leurs semblables. Autrement dit, les hommes n'ont pas à nous expliquer comment mener nos luttes féministes mais peuvent inciter les hommes à se remettre en question.
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